Le plus grand projet d’irrigation du monde
La Turquie est, par rapport à certains pays moyen-orientaux, un territoire riche au point de vue hydraulique. Pourtant, ses habitants n’ont, à leur disposition, que le sixième de la quantité d’eau disponible, par tête, en Europe Occidentale. Les réserves d’eau turques vont encore moins suffire si l’on tient compte, pour l’avenir, de la croissance démographique, de l’élévation des conditions de vie et de l’industrialisation.
Quelle solution alors pour la Turquie ? Quels sont les risques ?
La Turquie vise à promouvoir la croissance économique et la stabilité sociale en optimisant ses ressources en eau et en sol. En 1977, elle a lancé un des plus grands projets de construction du monde en Anatolie du Sud-Est, la région la moins avancée du pays. Ce projet est appelé GAP pour Great Anatolia Project et consiste à construire 22 barrages disséminés sur le Tigre et l'Euphrate et leurs affluents, 19 centrales électriques et deux tunnels d’irrigation. Il coûtera 32 milliards de dollars américains et se propose de redonner vie à une région aussi vaste que l’Autriche et à fournir le quart de l’énergie électrique du pays. La Turquie veut par ce projet créer 3,3 millions d’emplois et se suffire sur le plan alimentaire. On calcule donc que le PNB de l’Anatolie du Sud-Est sera multiplié par quatre.
Malheureusement ce projet entraine des tensions à la l’échelle mondiale, en effet, les retenues d'eau, qui régulent artificiellement le débit, sont dénoncées par les défenseurs de l’environnement, mais aussi par la Syrie et l'Irak, également traversés par les deux grands fleuves qui se rejoignent pour terminer leur course dans le Golfe persique. Depuis plus de quatre-vingts ans, les eaux de l'ancienne Mésopotamie sont l'objet d'une bataille diplomatique entre la Turquie, qui tient les sources, et ses voisins qui militent pour un statut "international" pour le Tigre et l'Euphrate. A plusieurs reprises, l'ombre d'une guerre de l'eau a même plané sur la région ; dans les années 1970, entre la Syrie et l'Irak. En 1990, c'est la Turquie qui provoque un incident en fermant les vannes du barrage Atatürk et créer un lac artificiel.
Plus tard, Ankara, capitale de la Turquie, agitera la menace pour faire plier la Syrie, qui, jusqu'en 1999, protégeait le leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (organisation terroriste) : Abdullah Öcalan.
Le barrage Atatürk est la pièce centrale des 22 barrages prévus dans le projet d'Anatolie du Sud-Est). Le barrage est bâti sur l'Euphrate. Sa construction a débuté en 1983 et a été achevé en 1990. Celui-ci fait presque 2 km de long et atteint 169 mètres de hauteur. Le lac artificiel créé couvre une surface de 817 km².
Par ailleurs, il éxiste aussi des problèmes locaux quant à la construction de barrages. En plus d’être très couteux (plusieurs centaines de millions d’euros), ils entrainent des changements géographiques importants. Dans le cadre de la construction du barrage Birecik de 1985 à 2000, plus de 30 000 personnes ont été déplacées et la création d’un lac artificiel devant le barrage à entrainer l’engloutissement sous les eaux de deux cités antiques du IIIème siècle avant J-C ; Zeugma et Apamée.
En conclusion, il s’agit d’un projet pharaonique avec des points forts comme, la plaine de Harran, en Anatolie méridionale, qui était auparavant un désert, est maintenant un énorme champ de coton grâce à l’eau d’irrigation provenant de l’Euphrate, mais aussi avec des points faibles : de nombreux villages ont été inondés bien qu’ils recélaient des monuments des périodes assyrienne, chrétienne, abbasside et ottomane de la Turquie. De plus on compte des drames humains, du déracinement, l’adaptation à une nouvelle vie…
Ce projet devrait donner à Ankara un énorme avantage stratégique dans une région du monde qui souffre, du manque d’eau. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’au XXIème siècle, quiconque contrôlera l’eau au Moyen–Orient, dominera, dans une grande mesure, sur les plans économique et politique.